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"Sur les traces de l'enfance"


Je ferme les yeux. J'ai juste à fermer les yeux pour tout voir. Je sais bien que lorsque se closent les paupières, la lumière fait place au noir, l'incessante activité du cerveau au repos. Pourtant, depuis ce mardi où je me suis rendue à Velleron, l'image de mon ancienne maison me hante. Admirable grand-mère qui me demande si je souhaite faire un détour par mon ancien quartier alors que je lui avais proposé de passer par le centre du village. Bien sûr, j'espérais qu'elle comprenne que je souhaite revoir le lieu où mon enfance s'était déroulée. Elle a compris ce souhait, même s'il était déguisé.
Nous voilà sur le chemin, le virage approche et je sais bien qu'une fois franchi, mes sens seront en éveil, en émois. Si l'exultation pouvait se sentir, je suis certaine qu'à cet instant précis, alors que j'allais d'un moment à un autre découvrir le changement qu'avait connu ma campagne, je serais morte, asphyxiée par le parfum de la plénitude. Mes yeux commencent à observer chaque chose avec minutie, comme le ferait un voyageur redécouvrant un pays où il n'était pas allé depuis bien longtemps... le pays de sa jeunesse.

Tout a tant changé... Je cherche un élément du paysage qui m'est familier, ne serait-ce qu'un rocher, un arbre. Mais je vois mieux. Autour, tout s'efface et mes yeux restent rivés vers ce mieux. Grande, entourée d'un jardin lui aussi agréable aux yeux. Ma maison. Tout est verdoyant, les arbres au feuillage généreux ont du accueillir quelque jeune enfant, il y a de cela plusieurs années. Ces arbres, je les connais bien, ils étaient miens autrefois. La petite sapinette que mon père et moi avions plantée a bien grandi, c'est un bel arbre maintenant. Bien loin est l'enfance... Près de la maison se trouve toujours le cerisier qui fut ma cabane, mon refuge, le lieu de ma gourmandise exacerbée qui s'exprimait en été, lorsque les cerises avaient une couleur rouge vif, proche du noir. Tous ces arbres ont vu mes jeux d'enfants, ils ont accueilli sur leurs branches aux formes capricieuses un petit corps fragile, tout comme l'esprit, épousant les folies de la nature.

Maintenant, il y a du gazon. Un gazon d'un vert luisant, orgueilleux, tape à l'oeil dans cette campagne. Je préférais les herbes folles qui changeaient de couleur au grès des saisons et les fleurs sauvages que l'on effeuillait en disant "un peu, beaucoup, à la folie...". Et cette maison... maison agrandie, maison démolie, maison modifiée aux airs de villa. Le costume qu'elle porte là ne lui va pas. C'est dans la simplicité et le pittoresque que se trouve sa splendeur. La richesse lui a donné un air de luxe, mais elle l'a cependant affadie en lui donnant cet air banal de maison de gens aisés. De ma maison, je garde en souvenir celle d'antan. La maison où il faisait bon être accueillie par les doux baisers de sa mère, où le père regardait d'une mine satisfaite les résultats scolaires, où je me suis tant amusée. Toi qui m'a apportée tant de bonheur, te voilà bien changée. Je peine à retrouver la demeure que je connaissais si bien.

Je ferme les yeux, encore un peu, pour la revoir telle qu'elle restera toujours dans mon esprit, et je me complais dans cette vision d'avant, si douce.




© Anaïs E.


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