"Le pèlerin de
Rocamadour"
Malgré
le soleil qui disparaissait peu à peu derrière les
horizons sombres, le pèlerin poursuivait son chemin vers
Rocamadour. Le ciel sétait maintenant teinté de
vermillon et la lumière rouge émise par lastre
mourant présentait un paysage désertique, que
lespèce humaine et la nature semblaient avoir fui.
La chaleur de cette nuit daoût étouffait
lhomme qui souhaitait cependant continuer son
expédition. Il ne lui restait quune vingtaine de
kilomètres à parcourir afin datteindre le village
où se trouvait la statue de la sainte quil
vénérait tant : la Vierge Noire. Il devait avancer
encore. Au loin, la poussière soulevée par une brise
légère semblait accomplir une danse macabre, rendue
floue et mystérieuse par la chaleur se dégageant du
sol. Le malaise éprouvé par le voyageur augmenta
lorsque les alentours revêtirent leur costume de deuil.
Sans quil ne sen rende compte, la nuit
sétait abattue sur les causses du Quercy.
Profondément fatigué et ne sétant que très peu
nourri, lhomme sombrait dans une sorte de rêve
éveillé où le réel et limaginaire mêlaient
leurs limites. Sous ses pieds se perdaient des sources
deau, disparues dans un gouffre, perdues dans un
dédale de cavités creusées au fil des années, et
cherchant à retrouver la surface. Dans la terre, les
sources se plaignaient et trahissaient leur présence par
un râle profond que lon eût confondu avec celui
dun malade gravement atteint aux poumons.
Une angoisse sempara du voyageur. Sétait-il
éloigné du chemin menant à Rocamadour pendant que son
esprit ségarait et contemplait la région ? Levant
la tête vers le ciel, il saperçut que les
étoiles et la lune avaient disparu sous dépais
nuages noirs. Lançant un appel en espérant être
entendu, lhomme ne reçut de réponse que celle de
lécho qui lui renvoya sa voix amplifiée, au son
déformé. Il fallut poursuivre la route, dans ce paysage
devenu plus sombre, où sur le sol sétaient
effacées les ombres. Cétaient les seules qui
pouvaient encore attester de lexistence de ce qui
était vu, mais maintenant, comment ne pas confondre un
événement avec une illusion ? Lhomme sans ombre
nétait-il pas lui-même une illusion se
déplaçant dans ce décor ?
Le ciel se mit à déverser sa colère sur le plateau :
la pluie battait tout ce qui se trouvait sur son passage,
et emportait avec elle des pierres vers la falaise.
Lhomme venait de quitter le plateau sec et
sétait engagé dans un bois. Les branches,
animées dune rage destructrice se balançaient et
fouettaient les airs. Le sol emprisonnait les pieds du
pèlerin qui essayait de se dégager avec peine de cette
terre devenue sables mouvants. La nature souhaitait-elle
démontrer son immense puissance ? Nétait-ce
quun caprice du temps ? Dans les deux cas, le
décor demeurait meurtrier et impitoyable.
© Anaïs E.
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